Category: sacré
Prière
Parfois je doute
Telle une nonne en son Dieu
Chapelet à la main, priant les cieux
Le conjurant d’exister par delà la voute
Du Carmel de Lisieux
Quand, ô miracle, tu souris et tu ris
Et qu’enfin mon amour se love dans les plis
Qui bordent tes yeux gris
Premiers pas
Le vertige du temps
A vingt-cinq ans, je souffre de vertige, le vertige du temps. L’horloge tourne et j’ai peur de ne pas accomplir ce pourquoi je vis. La mort me guette comme tout vivant au cœur battant. C’est ainsi que l’urgence s’installe impérieusement dans mon existence. Il m’arrive de penser à l’instant de mon dernier souffle. Mourrais-je d’un cancer ou écrasée par une voiture ? Je pense alors à mes parents qui seraient certainement les seuls à me pleurer. C’est précisément le moment où je mets court à mon délire narcissique car rien ne me fait plus horreur que la souffrance, même imaginaire, de ceux que j’aime. La mort est ainsi insidieuse parce que son absence ne fait que renforcer son pouvoir sur nous. Le tic-tac n’en est que plus lancinant. Dans ma petite famille, nous l’avons connue avec tant de rudesse insinuée dans les petits draps et l’espoir d’une nouvelle respiration, que notre effroi s’est vu remplacé par une résignation triste contrebalancée par un amour sans mesure de la vie, que l’on sait désormais précaire.
Ce dimanche, il m’a semblé que le temps s’arrêtait. Nous étions en automne, à la saison cuivrée des feuilles qui tombent, de la rouille et de la pluie. La journée était longue, grise et froide. Interminable. J’appris par une amie le changement d’heure, nous étions passés à l’heure d’hiver. Je comprenais mieux. Mon corps en fin de cycle participait à la lenteur perçue. La lune approchait de sa plénitude. Le monde fonctionne par oscillation entre vie et mort, que ce soit dans l’espace, sur Terre ou dans ma propre chair. Ce qui est parti revenant sans être exactement le même.
J’ai atteint l’âge de m’offrir un sablier ou un crâne, les objets habituels pour méditer sur la vanité. Je crois que c’est l’époque qui le veut car nous vivons entre deux mondes, le passé antique et biblique qui est atrocement humain et l’avenir qui est vertigineusement transhumain, le monde riche qui conquiert ce nouvel espace artificiel et virtuel et le monde pauvre qui tient à la légende de ses ancêtres comme à sa dernière richesse. Nous sommes là, dans cet entre-deux, perdus dans un intervalle baroque. Toutes les illusions s’entrechoquent, se haïssent et s’enlacent noyant dans un amas gluant la vérité, la droiture et le mot juste.
Au pays du soleil levant, nous n’échappons pas à cette discontinuité. Nous incarnons cet époque merveilleusement. Nous sommes pour ainsi dire les acteurs d’une pièce de théâtre, où le tragique, le chimérique et le rocambolesque se mêlent. Les intrigues et les décors se multiplient. Il en est de même dans le foyer conjugal ou en politique, dans le salon ou au parlement. Nous sommes devenus maîtres de la technique du trompe-l’œil, assez pour nous laisser abuser. Nous n’avons que faire de la science, de la littérature et du vrai. Le soleil nous abîme les yeux, nous voyons flous et nous prenons le papier imprimé pour l’or et l’or pour la vie. Nous sommes des alchimistes.
Et moi, parce qu’il n’est jamais question que de nous-mêmes, toujours et à jamais, et moi dans ce monde, j’ai trois obsessions : la justice, la liberté et l’entropie. Alors voyez l’anachronisme dans lequel je patauge.
Pluie d’été
Et les cigales chantaient
Jour d’été
Jour de guerre
Jour daté
Jour sans air
Personne ne sait
Tout le monde erre
Enfant et mère
Dans un tramway
Maisons en bois
Nénuphar en fleur
Chien qui aboie
Saules Pleureurs
Foudre du Pacifique
Beauté cynique
Mort fatale
Mal banal
Plaies radioactives
Peaux carbonisées
Amours amputés
Douleurs vives
Un jour, un petit enfant tua des milliers d’autres petits enfants.
Et les cigales continuèrent à chanter.
Mystique
Ordre cosmique
Et chaos universel
S’entrechoquèrent
Puis s’enlacèrent
De leur étreinte orgasmique
Naquirent des étoiles
Et des corps sphériques
En équilibre hydrostatique
Une année lumière, au hasard
D’un alignement quasi-mystique
D’acides désoxyribonucléiques
Surgit la vie, sur le tard
Mais quelques comètes sous opium
Firent fi des astres qui s’éteignent
Des trous noirs qui nous happent
Pour rêver d’Ad vitam æternam
Amen
Tokyo, mon amour
C’est comme nous y étions, la rue se mit à bouger, et elle s’en alla. La secousse ne fit d’abord aucun dommage. La journaliste, en direct depuis la capitale japonaise, se voulait rassurante. Elle souhaitait continuer son duplex avec Paris. « Les présidents français et américains se sont entretenus une seconde fois ce matin au sujet du conflit syrien. » Soudain, on vit la dame se balancer de droite à gauche puis de gauche à droite. Elle hurlait dans son micro qu’un séisme avait lieu à Tokyo. Les japonais disciplinés s’installèrent sous les voitures, sous les tables extérieures des restaurants ou sous un banc public à l’ombre d’un cerisier. Pas un cri. La deuxième secousse en appela une troisième, puis une quatrième. La caméra était à terre. On pouvait voir l’enfant et sa mère sous la Toyota Lexus 500. Pas une larme. Dix minutes plus tard, personne n’osait sortir de sa cachette. Puis un homme, soixante ans peut-être, se rapprocha de la caméra, fixa l’objectif et déclara : « Tokyo, mon amour, je t’aime ».
“C’est comme nous y étions, la rue se mit à bouger, et elle s’en alla.” phrase extraite de Qui Je Fus par Henri Michaux, 1927
Dollar Baby
A quinze ans, elle fugua. Avec l’argent volé à son père, elle prit un ticket de bus pour Los Angeles. A quinze ans et trois mois, elle se retrouva à la rue, seule. Elle s’installait le soir sur la plage pour écouter le bruit des vagues qui se cassaient sur le rivage. Jamais elle ne regrettait les terres arides du Texas. A quinze ans et cinq mois, alors qu’elle servait un Cola, il la regarda. C’était la première fois qu’un homme, autre que son daddy, la dévisageait de la sorte. A quinze ans et six mois, elle faisait les courses, la lessive et la cuisine en attendant le retour de son bel et tendre. A quinze ans et huit mois, elle le quitta. A seize ans, sa bouche pulpeuse et son brushing extravaguant lui rapportèrent le jackpot. Elle faisait la une de Playboy. On l’appelait Dollar Baby.
Clap de fin
Le soleil à l’azur, l’horloge sonna le midi. La cloche de l’église aussi. Ils avaient fermé les rideaux de la chambre mais un filet de lumière leur avait échappé pour éclairer le visage de la dame allongée sur le lit. Peut-être avaient-ils peur que cette lumière ne la fasse plus vieille qu’elle ne l’était déjà.
De son oreiller, elle pouvait encore entendre la télévision allumée dans le salon. Elle reconnaissait Hercule Poirot, sur France 2. C’était la scène finale, la scène de vérité. Il rappelait comment tous étaient suspects quand un seul était coupable. C’était le cousin germain qui avait assassiné la tante, froidement. Une sombre histoire d’héritage.
Le détective quitta la pièce, remit sa moustache en place et sourit à la caméra. Personne ne résiste aux petites cellules grises d’Hercule Poirot ! Clap de fin. Elle ferma les yeux. Elle pouvait mourir en paix.